Accompagnée de son père qui marchait à côté de son fauteuil motorisé, Sydney se rendait à l’école en dix minutes, un peu plus lorsque des voisins n’avaient pas déneigé leur bout de trottoir, un peu moins quand son père la laissait filer à toute vitesse. Ils ont fait ce trajet ensemble jusqu’à la fin des études primaires de Sydney à cette école qu’elle a fréquentée pendant dix ans.

C’est ce sentiment d’être relativement indépendante et de pouvoir faire comme tout le monde qui a toujours motivé Sydney, maintenant âgée de 19 ans. Et c’est aussi ce que vise le système d’éducation. Depuis les années 1970, des pressions se sont exercées pour ne plus confiner les enfants ayant une déficience dans des écoles distinctes ou des classes réservées aux enfants ayant des besoins particuliers. Au Canada, ce qu’on appelle l’intégration scolaire permet à environ 60 % des enfants ayant une déficience d’aller à la même école que leurs amis et amies et les autres enfants du voisinage. Si l’objectif est louable — c’est-à-dire que les personnes ayant une déficience soient moins stigmatisées durant leurs études et qu’elles aient les mêmes chances d’épanouissement que les autres —, la manière de le réaliser est jalonnée d’énormes difficultés.

Sydney a aimé son école primaire. Elle a eu la chance de vivre dans un quartier où une école dotée d’ascenseurs pouvait répondre à ses besoins et d’avoir un père qui a réclamé sans relâche une aide-enseignante chargée exclusivement de l’aider toute la journée.

C’est devenu plus compliqué pour Sydney à l’école secondaire, où l’on remettait constamment en question son droit d’être épaulée par une aide-enseignante présente exclusivement pour elle.

« En me voyant, on peut penser que je n’ai pas besoin d’aide », fait remarquer Sydney. Cette apparente autonomie a de quoi la rendre fière, mais elle a aussi amené les gens à souvent surestimer ce que Sydney peut faire toute seule. En fait, Sydney ne peut pas ouvrir son ordinateur portatif ni déboucher un marqueur. Elle a besoin d’aide pour se redresser dans son fauteuil. Elle ne peut pas lever la main pour demander de l’aide. Elle peut mourir rien qu’en s’étouffant.

Pourtant, son école secondaire voulait que Sydney partage le temps de son aide-enseignante avec d’autres élèves ayant des besoins spéciaux. Or, contrairement à tous les autres élèves ayant des besoins spéciaux dans cette école, elle voulait décrocher son diplôme en réussissant tous les examens. Alors elle se retrouvait souvent entourée d’élèves qui jouaient, faisaient du bruit ou la dérangeaient.

« Pour certaines des aides-enseignantes, je n’étais qu’une déficience, même pas une
personne... »

De plus, le fait d’avoir presque une douzaine d’aide-enseignantes qui travaillaient en rotation a littéralement épuisé la jeune fille.
« Pour certaines des aides-enseignantes, je n’étais qu’une déficience, même pas une personne ni une adolescente », confie-t elle en précisant que, par définition, la relation avec une aide-enseignante est très personnelle, même intime.

À son avis, la plupart des personnes qui lui ont enseigné ont fait de leur mieux, mais quelques-unes l’ont traitée comme un bébé, tandis que d’autres l’ont rabaissée en lui reprochant de ne pas apprendre aussi vite que les autres. Quand elle est passée en 9e année, la croyant incapable de suivre les cours d’éducation physique, l’école l’a inscrite à un cours sur l’alimentation et la nutrition donné aux élèves de 10e année. Mais Sydney ne voulait pas changer de classe. Malgré son incapacité à pratiquer les sports comme ses amis, elle voulait au moins les comprendre. Après avoir insisté, elle a convaincu l’école de revenir sur sa décision.

Avec son diplôme d’études secondaires en poche, Sydney voulait poursuivre ses études, comme la majorité de ses amis. Le Collège Humber a accepté sa demande d’admission à son programme de communications numériques. Imitant la plupart de ses amis, Sydney voulait vivre sur le campus, dans une résidence étudiante.

C’était un projet ambitieux. Sydney a obtenu des fonds pour payer des préposées jour et nuit, mais cette solution est tombée à l’eau quand la direction des résidences a refusé de fournir une chambre supplémentaire pour la préposée. Maintenant en deuxième année au Collège Humber, Sydney est retournée vivre chez son père à Ajax, ce qui l’oblige à prendre les transports en commun pour se rendre au Collège, soit un trajet de deux heures et demie en train de banlieue, en métro et en autobus. Elle arrive rarement à la maison avant 23 h.

« Certains jours, je suis trop fatiguée pour aller au collège », se désole Sydney.

Pour régler ce problème, elle cherche un logement à partager à Toronto pour se rapprocher de son collège, mais elle est consciente qu’il lui sera difficile de trouver un logement accessible et abordable dans l’un des marchés immobiliers les plus dispendieux au pays.

La vie de Sydney était moins difficile quand elle n’avait pas de grandes distances à parcourir pour étudier, mais elle tient bon. « Tout dépend des mesures d’adaptation », constate la jeune fille, et elle ne parle pas de l’hébergement. « Et il faut avoir de bons amis. »

11 % des personnes handicapées du Canada décident de mettre un terme à leurs études prématurément à cause de leur handicap

37 % des personnes handicapées du Canada réduisent le nombre de cours qu’elles suivent, à cause de leur handicap.


Personnes handicapées

mettent un terme à leurs études prématurément à cause de leur handicap

réduisent le nombre de cours suivis, à cause de leur handicap

Source : Rapport publié en 2017 par la Commission canadienne des droits de la personne

En 2017, la Commission a publié le rapport intitulé Négligés : difficultés vécues par les personnes handicapées dans les établissements d’enseignement du Canada. Selon ce rapport, pour de nombreuses personnes qui ont une déficience mentale ou physique — un handicap— le système d’éducation au Canada doit ressembler à une porte close. Entre autres conclusions, le rapport indique que 37 % des personnes handicapées au Canada disent suivre moins de cours en raison de leur handicap et que 11 % disent mettre fin à leurs études plus tôt qu’elles le voudraient en raison de leur handicap. Ce rapport est au nombre d’une série de rapports que la Commission produit et qui visent à faire le suivi de l’application au Canada de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées.