Les points représentent une mutation du gène BRCA — celle qui a fauché de nombreuses femmes de la lignée de Gabrielle — et le point d’interrogation dans le cercle du bas signifie que Gabrielle ne sait pas si elle est porteuse de cette mutation.

Depuis que l’on a découvert le lien entre la mutation du gène BRCA et les cancers du sein et de l’ovaire dans les années 1990, il existe un test de dépistage qui est même gratuit pour toute personne ayant d’importants antécédents familiaux de cancers. Même s’il s’agit d’une mutation plutôt rare puisqu’elle ne touche qu’environ une personne sur 500 au Canada, la Société canadienne du cancer indique que les femmes porteuses ont jusqu’à 85 % de risques d’être un jour atteintes d’un cancer du sein.

Gabrielle, résidente de 27 ans en médecine familiale dans un hôpital de Montréal, veut savoir si elle est porteuse de la mutation du gène BRCA. Elle avait retardé jusqu’à maintenant le moment de faire un test de dépistage parce qu’elle craignait de voir ses primes d’assurance augmenter si le résultat se révélait positif.

En mars 2017, la Chambre des communes a adopté, par une écrasante majorité de 222 voix contre 60, le projet de loi S-201, Loi sur la non-discrimination génétique. Donc, jusqu’en mai de la même année, au moment où le projet de loi a reçu la sanction royale, aucune loi ne protégeait la population canadienne contre la discrimination génétique. Jusqu’à ce moment, employeurs comme assureurs pouvaient demander de l’information génétique sur leurs employés ou leurs clients et l’utiliser à leur détriment.

Gabrielle était confrontée à un déchirant dilemme. Elle voulait savoir si elle était porteuse de la mutation, mais elle savait que le dépistage était une arme à deux tranchants. Comme elle prévoyait pratiquer la médecine en cabinet privé, elle voulait souscrire une assurance vie. Or, elle savait que les assureurs l’obligeraient à leur donner le nom de tous les médecins qu’elle avait consultés. Elle en connaissait d’ailleurs les conséquences possibles puisque, à partir d’une seule consultation chez un psychologue, son assureur avait exclu toute condition psychologique de sa police d’assurance. Sachant qu’un dépistage génétique pourrait avoir des répercussions plus graves, comme des primes astronomiques ou encore l’exclusion du cancer du sein ou de l’ovaire, Gabrielle a décidé d’attendre.

À peu près à la même époque, Jessica Barton* était dans la même situation. À la veille de son 30e anniversaire, elle entretenait des discussions depuis plusieurs années avec sa sœur et sa mère pour décider si elles passeraient le test de dépistage de la mutation du gène BRCA. Jessica a perdu tôt sa grand-mère maternelle, emportée par un cancer de l’ovaire dans la cinquantaine. Sa grand-tante a souffert d’un cancer du sein et d’un cancer de l’ovaire avant de mourir aussi dans la cinquantaine. La mère de Jessica a longtemps hésité à passer le test, craignant que les résultats causent des problèmes dans son dossier d’assurances — et dans celui du reste de sa famille. Les choses se sont précipitées en 2013, lorsque la star hollywoodienne Angelina Jolie a annoncé dans les médias avoir décidé de subir une mastectomie prophylactique parce qu’elle était porteuse de la mutation du gène BRCA1. Jessica et sa famille ont décidé à ce moment de se soumettre au test de dépistage.

« En choisissant ma santé, j’ai fait le bon choix. »

« En choisissant ma santé, dit Jessica aujourd’hui, j’ai fait le bon choix. » Jessica et sa mère ont appris qu’elles sont toutes les deux porteuses de la mutation. La mère de Jessica a décidé de se faire enlever les ovaires (ovariectomie) sans délai. De son côté, Jessica a commencé le programme de dépistage du cancer chez les personnes à « risque élevé », dont celles qui sont porteuses de la mutation du gène BRCA. Elle se soumet donc chaque année à un examen par imagerie par résonnance magnétique (IRM) et à une mammographie. Une fois qu’elle aura eu des enfants, Jessica prévoit subir une ovariectomie, et peut-être une mastectomie aussi.

« Pour certaines personnes, un résultat positif à un test génétique est une condamnation à mort, dit Jessica. Je ne le vois pas de cette façon. Savoir, c’est pouvoir. Plus vous savez de choses, plus vous maîtrisez ce qui vous arrive. »

Entre autres changements, la Loi sur la non-discrimination génétique a ajouté les « caractéristiques génétiques » aux motifs de discrimination illicite déjà prévus dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, ce qui en fait l’une des 13 raisonsqu’une personne peut invoquer pour déposer une plainte de discrimination à l’échelon fédéral au Canada. Grâce à la nouvelle loi, le soulagement est grand chez Gabrielle, Jessica et des milliers d’autres personnes au Canada. Des médecins disent que l’attitude de leurs patients a changé du tout au tout depuis ce temps : après avoir longtemps eu peur de souffrir d’une maladie héréditaire ou avoir enduré des symptômes mystérieux, des patients acceptent maintenant de subir un test de dépistage génétique parce qu’ils ne craignent plus les préjudices.

« J’ai vécu l’une des plus grandes leçons d’humilité de ma carrière », reconnait le docteur Ronald Cohn, pédiatre en chef à l’hôpital pour enfants de Toronto. Il soigne de nombreux patients atteints de maladies rares causant des lésions musculaires ou un déficit cognitif. « J’avais sous-estimé à quel point cela — c’est-à-dire le fait de poser un “simple” diagnostic — pouvait être un soulagement pour les patients et leurs parents. »

Après l’adoption de la loi, Gabrielle a fait un test de dépistage de la mutation du gène BRCA dont elle attend les résultats. Bientôt, elle pourra enfin effacer le point d’interrogation dans son arbre généalogique. Peu importe ce qu’elle inscrira dans ce cercle, elle fera face à la musique le moment venu.

Dr Ronald Cohn, pédiatre en chef, Hôpital pour enfants de Toronto

En moyenne, chaque jour, 72 Canadiennes reçoivent un diagnostic de cancer du sein.


Canadiennes

72

reçoivent un diagnostic de cancer du sein

Source : Société canadienne du cancer

En mai 2017, le motif « caractéristiques génétiques » a été ajouté dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Après avoir longtemps réclamé cet ajout, la Commission a applaudi à l’adoption du projet de loi S-201, Loi sur la non-discrimination génétique, et a accueilli favorablement sa pleine entrée en vigueur. Depuis, le gouvernement du Québec conteste la constitutionnalité de cette loi. La Commission interviendra devant les tribunaux pour s’opposer à cette contestation.